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Opinion de Vincent MICHEL, président de la Fédération des aveugles et handicapés visuels de France
publié dans le journal « La croix « 11/2/15 – 08 H 56
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S’il est un mot qui revient en boucle dans la bouche des acteurs de la vie politique, économique et sociale, c’est bien celui de « réforme ». Mais diantre, que peut-il bien se cacher derrière ce substantif répété jusqu’à l’obsession ?
L’histoire nous enseigne que depuis des siècles, l’idée de réforme a été associée à celle de progrès. Depuis la Réforme protestante qui n’avait d’autre objectif que de corriger les dérives du catholicisme romain d’alors, en passant par les idées développées au siècle des Lumières pour déboucher sur les grands mouvements des XIXe et XXe siècles, l’action des réformateurs s’est toujours traduite par des transformations synonymes de progrès. Ainsi, de la Déclaration des droits de l’homme jusqu’à l’abolition de la peine de mort, les grands moments de notre histoire sont à la fois conquêtes sociales mais aussi progrès de civilisation ouvrant à chaque être humain de nouveaux espaces de liberté et de fraternité. Face à ce mouvement de fond séculaire débouchant sur de réelles avancées dans la vie des hommes de leur temps, qu’en est-il aujourd’hui de cette belle idée de réforme ?
Les temps semblent avoir bien changé aujourd’hui où, au nom d’une pensée unique jamais réellement questionnée, l’on met en cause sans discernement les minima sociaux, certains droits accordés aux personnes handicapées, les services publics et ceux qui les font vivre. Nous sommes bien loin de ces mutations positives invitant l’homme à regarder vers ces nouvelles frontières de la civilisation. Ce qui rend aujourd’hui un certain nombre de projets contestables, contestés et souvent rejetés, c’est l’absence à la base d’une vision d’ensemble, d’un chemin clairement tracé vers la refondation d’un contrat social explicite, susceptible de redonner sens et perspective à une démarche cohérente.
Si l’on évoque ici la question du handicap en particulier et celle de la refonte de notre système social en général, il n’est pas interdit de réenvisager certaines dispositions qui ressortent peut-être trop d’une démarche d’assistanat pour en appeler à une plus grande responsabilité de tous. La citoyenneté ne se définit pas seulement par des droits, elle s’entend aussi par des devoirs. Mais alors, il faut avoir le courage politique et savoir prendre les mesures économiques adaptées afin de mettre en place un système d’éducation et de formation de haute qualité assurant aux personnes les plus en difficulté les bases indispensables à leur insertion économique et sociale.
Si l’on revient à la situation des personnes handicapées, il est essentiel de traiter la question de l’accessibilité sous tous ses aspects afin que le concept d’accessibilité universelle ne soit pas un vain mot et permette aussi, même porteur de certaines déficiences, de vivre sans entrave au cœur de nos cités. Si de tels principes contenus dans deux lois vieilles de dix et de quarante ans étaient pleinement respectés, il serait alors possible de plaider en faveur de certaines mesures conduisant vers plus d’inclusion et moins d’assistanat. Mais que dire lorsqu’on sait que dans notre pays, seulement 3 % des livres qui paraissent chaque année sont accessibles aux personnes aveugles et amblyopes, que des enfants, parce que privés de vue, reçoivent leurs manuels scolaires parfois six mois après la rentrée. On comprendra que dans de telles occurrences, il est difficile pour certains de se voir contester de menus avantages.
Au fond, ce qui fait cruellement défaut aujourd’hui, c’est un grand projet d’avenir pour notre jeunesse dont 25 % se retrouve au chômage, pour les personnes handicapées dont près de 50 % sont exclues du marché du travail et plus généralement pour toutes ces personnes totalement décrochées par le « TGV » des progrès en tout genre. À tous ceux-là, il manque un projet de société construit autour de l’idée de progrès, d’une solidarité vraie, du respect de notre cadre de vie et de notre environnement, offrant de réelles perspectives d’avenir à tous et à chacun. Le premier devoir de la République ne serait-il pas celui de donner du travail et un toit à tous ses enfants ? Nos sociétés, si avancées dans le domaine technologique, seraient-elles à ce point incapables d’offrir de telles perspectives d’avenir ?
Nous sommes nombreux à être convaincus de l’impasse dans laquelle nous conduirait une politique du « toujours plus ». Ce à quoi les femmes et hommes d’aujourd’hui aspirent, c’est à une société du mieux-vivre ensemble, du mieux-être partagé.
« La citoyenneté ça nous regarde » et il appartient donc aux forces vives de nos pays, au sein desquelles nos associations jouent un rôle majeur, d’être en capacité de porter ensemble ce nouveau « projet espérance », cohérent et solidaire, qui offre à nos concitoyens une vision à terme et qui trace un chemin. C’est là le plus sûr moyen d’exorciser tous les démons qui terrorisent notre société et de redonner au nom de « réforme » ses lettres de noblesse.